ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°78 -

Compte-rendu des débats : La mobilisation des acteurs au service d’un centre-ville dynamique


Afin de faire vivre le coeur de ville, la seconde séquence des débats a permis de s’interroger sur la mobilisation des différents acteurs (économiques, institutionnels, associatifs, résidentiels...), dont les logiques ne sont pas spontanément convergentes. Les analyses de la Caisse des Dépôts, des associations de commerçants de centre-ville, des Architectes des bâtiments de France ont pu être mises en relation avec la présentation des cas pratiques des villes de Nevers, Boulogne-sur-Mer et Vannes.
Une offre adaptée au terrain
Michel-François Delannoy, expert en montages complexes de la Caisse des Dépôts, a présenté une réflexion en cours d’achèvement pour l’institution financière concernant l’avenir des centre-villes. Il s’est félicité des « points de convergences » avec Villes de France sur ce dossier essentiel. La nouvelle approche de la Caisse des Dépôts est fondée sur les « remontées du terrain de ses directions régionales et des acteurs de la vie économique dans le domaine du transport ». 
Dans le contexte de mise en place des grandes régions et des métropoles, il lui apparaît essentiel de réfléchir désormais aux difficultés des « agglomérations de taille moyenne », surtout « dans les territoires, qui subissent des problèmes de pouvoirs d’achat - raisons conjoncturelles - et les conséquences des erreurs d’urbanisme résidentiel ces cinquante dernières années - raisons structurelles - ».
Pour répondre à ces phénomènes, la « Caisse des Dépôts va annoncer dans les prochaines semaine un important plan d’action », toujours « en lien avec les décideurs locaux ». Il a souligné, qu’avec la loi NOTRe, les « intercommunalités devront être des parties prenantes avec les villes » concernées. « Six domaines d’intervention seront privilégiés » : l’accompagnement à la définition du projet de ville, l’enjeux foncier et immobilier, la connexion avec les déplacements, la question de l’adaptation de l’habitat, la régénération des flux pour développer les services à la population dans les centres, et enfin un accompagnement spécifique du commerce de centre-ville. Il est aussi revenu sur les dix villes de 20 000 à 100 000 habitants qui font l’objet d’une expérimentation en cours : les dix « démonstrateurs ».
Eviter la « ville-musée »
Denis Thuriot, maire de Nevers, président de la CA de Nevers, a rappelé que sa ville est souvent présentée comme une « cité agréable », mais que les problèmes de centre-ville se sont révélés importants : besoin de rénovation, manque de connexion ferroviaire, baisse de la population, développement de la périphérie de ville au détriment du centre, et fermetures de commerces.
Pour attirer la population et les commerces, il lui est déterminant de faire évoluer le cadre urbain. « Il faut se démarquer de la périphérie », a-t-il rappelé, « en développant des services de proximité ». Il a aussi évoqué la « mise en valeur de l’artisanat et de la promotion de la faïencerie d'art, une spécialité neversoises, en évitant de devenir une ville-musée ». L’enjeu prioritaire a consisté à garder les jeunes sur place. Il a conduit une « réflexion sur le stationnement en centre-ville par le développement des zones bleues pour renforcer la fluidité ». Il a souhaité la mise en place de « bornes pour les véhicules propres dans le cœur historique », des nouveaux circuits pour les bus, et le développement de l’animation.
Concernant le développement du commerce de centre-ville, il faut parier aussi sur la mutualisation avec l’intercommunalité des services en charge du dossier. Il a développé son action en présentant ses dispositifs sur le commerce, les locaux vacants (fiscalité incitative), le déploiement du numérique, l’installation des start up en cœur de ville, les outils sur le foncier, et l’utilisation ciblée des outils dédiés de la politique de la ville (ANRU 2). Enfin, il a évoqué la collaboration de Nevers avec la Caisse des Dépôts en tant que « démonstrateur » sur la question du centre-ville.
Savoir prendre des risques
Frédéric Cuvillier, ancien ministre, député-maire de Boulogne-sur-Mer, président du CNER, a pointé l’importance des « changements d’habitude des consommateurs, qui font du zapping commercial, et les erreurs de la densification périphérique ».  Il est revenu sur « le problème du coût des loyers encore trop élevés dans le centre », sujet très difficile à maîtriser car le secteur privé est à la manœuvre. Il a précisé qu’il « faut s’inscrire dans des temps longs », et « mobiliser tous les acteurs car nous sommes désarmés face à l’implantation des grands centres dans la périphérie commerciales ».
En prenant l’exemple de sa ville, il a pu constater les bénéfices de certaines opérations immobilières des offices HLM notamment pour maintenir du logement étudiant car « les responsables communaux doivent prendre des risques pour générer des emplois : le logement étudiant dans le cœur de ville a rapproché les jeunes des lieux de consommation ; nous avons la chance d’avoir une université en cœur de ville, et cela a pu favoriser l’implantation d’une FNAC».

 

Surtout, il lui semble incontournable « d’aider les jeunes qui veulent s’installer et créer des entreprises », en évoquant au passage ses « dispositifs de préemption commerciale dans le centre-ville » et les « prêts d’honneur de la ville pour les commerces ayant des difficultés passagères ».
Sur la taxe sur les logements vacants, il estime que « cela ne sert qu’à faire passer le message à ceux qui n’on pas conscience de l’impact négatif des logements vacants en centre-ville ». Surtout, il a développé son analyse sur l’importance des loisirs et de la culture dans les centres. Enfin, les «travaux de revitalisation du centre de Boulogne-sur-Mer passent aussi par la réorganisation de l’espace portuaire » (Centre européen de la mer), avec l’ouverture d’hôtels et de lieux de détente.
« No parking, no business », une recette dépassée
François Gaucher, président de l’association des commerçants de Vannes, a estimé que le centre de Vannes se porte « moins mal qu’ailleurs », tout en regrettant la « baisse impressionnante de la valeur des pas de porte pour certains commerces ces dernières années ». Le centre ville de Vannes est marqué par deux périodes annuelles, la saison touristique et la « saison creuse ». Pour cette dernière période, « il est important de travailler avec les commerçants sur l’image du centre-ville ».
Pour bien comprendre le centre-ville, « il faut s’attarder sur les comportement des visiteurs » a-t-il expliqué, « car venir au centre-ville est un véritable moment de représentation pour les clients ». Selon lui, « le commerçant du centre ville est aussi celui qui réalise un travail de proximité et qui prend le temps d’écouter le client ». A Vannes, un « office du centre ville a été fondé avec un accueil dédié pour renforcer l’attractivité commerciale ». Il s’est enfin attaché à démonter l’importance de la politique du stationnement, et de la mise en place des zones d’accès et des modalités de paiement adaptées.
La célèbre formule « No parking, no business » de Bernardo Trujillo, qui ont fait le succès de la grande distribution en périphérie depuis plus de cinquante ans, lui « semble désormais complètement dépassée ».
Ne pas être des « censeurs de l’urbanisme »
Jean-Pascal Lemeunier, représentant l’Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), a présenté sa méthode de travail à  Troyes. La difficulté pour l’ABF « est de savoir concilier l’architecture contemporaine et le patrimoine dans le centre-ville historique ». Pour lui, les « architectes des bâtiments de France ne sont pas des censeurs de l’urbanisme, même s’ils donnent un avis ». 
Il a conscience que « l’acte de construire est un parcours du combattant pour les acteurs publics et privés, il y a une accumulation de normes, il faut beaucoup d’accords divers et variés ». Celui-ci a vanté la méthode utilisée à Troyes, celle du « dialogue et de la concertation collégiale ». Il est important d’associer l’architecte des bâtiments de France le plus vite possible en amont du projet. L’important lui semble « le travail de terrain pour la gestion du cœur historique du centre-ville ». Il a estimé « que l’on doit revoir régulièrement les données réglementaires et voir tous les acteurs régulièrement ». Il a confirmé son attachement à « une véritable montée en qualité de l’architecture contemporaine ».
L’architecte des bâtiments de France « doit être capable de discuter, d’être ouvert à la discussion avec les élus et surtout de se rendre sur le terrain ».
Un discours de l’Etat totalement absent
Enfin, cette séquence a été clôturée par l’intervention de Sylvie Fol, professeur d’urbanisme à l’Université Paris I.
Elle a présenté sa recherche sur les villes en décroissance, qu’elle a définies « comme des villes touchées par une décroissance structurelle (perte de population, dégradation de l’emploi et de l’appareil économique, paupérisation)». Toutefois, « la France n’est pas le pays le plus touché dans le monde, sa situation n’est pas comparable aux phénomènes rencontrés au Japon ou en Allemagne de l’Est ».  La décroissance urbaine française se trouve principalement dans la « diagonale du vide ». Les « trois quarts des villes en décroissance sont des villes de moins de 50 000 habitants », ce sont « des anciennes villes industrielles, ou des villes de garnison, placées dans des zones de décroissance, et déconnectées des grands axes de transport ».
Elle a insisté sur le fait que « ce processus est ignoré par les politiques nationales, et il s’agit d’un débat totalement absent des discours de l’Etat ». L’Etat français a « une vision stratégique nationale homogène et ne tient pas compte des projets locaux, comme cela a pu être constaté dans l’application des aides aux logements neufs dans les zones détendues pendant des années ». Ce phénomène s’est accru « par la politique de rationalisation des secteurs publics d’Etat. (Banque de France, caserne, gendarmerie, services déconcentrés, etc.)».
Parmi les pistes de sortie de crise présentées pour les centre-villes anciens : «  le resserrement urbain,  des politiques locales plus transversales, un dosage plus fin entre l’offre d’habitat nouvelle et existante, et l’implication des opérateurs immobiliers engagés sur le terrain (comme les offices HLM par exemple), et bien sûr des financements adaptés ».

 

n°78

16 Mars 2016

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