ONDES
URBAINES

Ondes moyennes n°595 -

Les emprunts à risque : Comment en sortir ?


 Il y a trois familles de réponses à cette question : la renégociation globale, le recours contentieux et le règlement au cas par cas par le biais de la médiation-conciliation.

1- La renégociation globale

De nombreux élus locaux ainsi que des parlementaires estiment que l’ampleur du phénomène (on parle de 10 milliards de surcoût) justifie une décision globale qui s’imposerait aux parties sous l’égide contraignant de l’Etat.
Le rapport de la commission sur les emprunts toxiques, présidée par Claude Bartolone, établi par Jean-Pierre Gorges, propose la création d’un pôle de mutualisation et d’assistance pour gérer le stock des emprunts toxiques (dont il chiffre le montant à 18,8 milliards d’euros). Les collectivités donneraient mandat à ce pôle pour renégocier ces emprunts et les transformer en prêts à taux fixes ou variables capés. Le coût de cette opération serait partagé entre les collectivités et les banques, celles-ci devant prendre en charge le risque.
Ce principe de mutualisation nous semble difficile à réaliser, car nous sommes en présence de nombreuses banques et d’un très grand nombre d‘emprunteurs. Il est exclu d’une part que toutes les banques aient la même idée du taux de renoncement acceptable de leur point de vue. De même les collectivités en fonction du contexte de mise en place de ces financements, de leurs besoins futurs et de leur situation financière ont nécessairement des convictions différentes sur leur capacité à faire un effort. Il faudrait donc que l’Etat ou le parlement le décide de façon autoritaire. Mais pourquoi l’Etat s’imposerait-il à lui même un tel effort via les garanties apportées sur la part de Dexia ? 

2- Le recours contentieux

Les écueils sont extrêmement nombreux pour les emprunteurs. En premier lieu, la durée pour obtenir un jugement définitif en appel fait peser une période d’incertitude pouvant durer au moins 3 ans. La ville de Saint-Etienne a assigné la Deutsche Bank en octobre 2008 et le premier jugement n’est pas intervenu. Cette situation est incompatible avec les cycles de la gestion municipale. Ensuite, un seul grief peut être avancé : le défaut de conseil. En effet, les failles juridiques (contrat rédigé en anglais, pouvoirs non conformes, absence de clauses type TEG…) peuvent exister mais restent l’exception. Et beaucoup de collectivités découvrent dans les dossiers des banques des mises en garde qu’elles n’avaient pas tracées et archivées de leur côté. Enfin, les banques pourront, lorsque l’emprunteur a bénéficié pendant plusieurs années de taux bonifiés, invoquer le défaut de loyauté si celui-ci conteste dès lors que la situation lui devient défavorable.
Pour autant l’issue de ces jugements est incertaine. Celle-ci incitera les banques à transiger avant que le juge ne puisse établir une jurisprudence. Il est très probable que seuls les dossiers des grandes collectivités arrivent devant le juge (les banques transigeront sur les petits et moyens dossiers) et ce ne seront pas les mieux armées pour faire établir le défaut de conseil. De plus, il ne faut pas oublier que l’annulation du contrat peut avoir pour conséquence le remboursement par l’emprunteur de l’écart entre le taux de marché et le taux bonifié pour la période déjà passée. 
En résumé, cette méthode peut être efficace pour peser dans la négociation avec la banque mais elle inscrit la collectivité dans un calendrier qu’elle ne maîtrise pas et avec une impérieuse nécessité de provisionner à hauteur des sommes en défaut s’il y en a.
Beaucoup d’élus sont conscients de l’incertitude liée à cette jurisprudence inexistante mais veulent y croire et diffèrent toute stratégie opportuniste de sécurisation. 

3- La médiation-conciliation

Face à l’incertitude d’obtenir une solution globale d’une part et l’hypothétique solution médiatique du contentieux d’une part, il reste une voie plus équilibrée à explorer, qui permet à la banque de maintenir la relation avec son client… et inversement.
Le principe de la médiation est la renonciation réciproque en présence d’un tiers de confiance qui aide à déterminer l’effort acceptable pour chacune des parties.
La médiation-conciliation traite les dossiers suivant une méthode pragmatique et rigoureuse en examinant la situation de chaque collectivité de manière concrète et factuelle, en rapprochant les positions divergentes à partir d’une expertise technique des dossiers, et en proposant des solutions concertées et adaptées. Les principes retenus sont d'inclure dans le champ de la médiation d'autres emprunts que les emprunts "toxiques", de prendre en compte la capacité contributive réelle de chaque collectivité, d'obtenir des banques des efforts consentis et d'assurer en même temps les besoins de financement nécessaires à l'investissement. 
Le médiateur, Eric Gissler, désigné par le premier ministre en 2009 a résolu avec ces principes une vingtaine de dossiers. Ce résultat n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. Beaucoup d’élus (notamment ceux qui ont contracté eux-mêmes ces produits) vont d’abord préférer une approche très confidentielle. 
La médiation ne s’inscrit pas dans une logique juridique. Elle prend en compte la capacité du client à assumer financièrement l’accord envisagé et invente la manière la plus adaptée pour la banque pour matérialiser l’effort qu’elle est prête à faire.
De nombreuses renégociations sont conclues sans présence d’un médiateur, mais parfois lorsque la confiance est rompue, un tiers de confiance permet d’objectiver les efforts faits de part et d’autre.
Beaucoup de facteurs incitent les banques à faire des efforts de plus en plus conséquents (engagements de désensibilisation vis à vis de leurs autorités de tutelle, volonté de limiter le nombre de contentieux, renchérissement des coûts de hors bilan, sortie des périodes bonifiées…). 
 
Rédigé par Philippe Rogier, expert du secteur public local
 

n°595

14 Mars 2012

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