Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, parlementaire en mission, a remis le 14 janvier au Premier ministre, en présence de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, un rapport consacré aux conséquences législatives pouvant être tirées des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le rapport Le Déaut vient compléter le rapport de synthèse réalisé par le comité de pilotage des Assises remis au président de la République le 17 décembre dernier. Ces deux rapports vont contribuer à l'élaboration de la future loi qui devrait être présentée en conseil des ministres fin février-début mars.
Vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), Jean-Yves Le Déaut avait été chargé, en août dernier, d'une mission visant à tirer les conclusions législatives des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce rapport s’est donc inscrit dans une démarche d’adaptation législative inédite, consistant à associer le Parlement en amont de l’élaboration du texte gouvernemental, contrairement à la pratique courante l’impliquant seulement à partir du dépôt du projet de loi sur le bureau de l’une ou l’autre des deux chambres.
Les propositions identifiées par Jean-Yves Le Déaut à partir des conclusions des Assises sont nombreuses, et touchent à des aspects très divers de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles font émerger plusieurs concepts venant délibérément se substituer, et non se surimposer, à des éléments du contexte actuel. Les trois idées directrices du rapport sont le repositionnement de l’université au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’amélioration de la performance par un effort de coopération à tous les niveaux, et enfin l’accroissement de la crédibilité internationale par la consolidation de l’ancrage régional.
À travers ses 117 propositions, Jean-Yves Le Déaut se donne l’objectif de passer d’un modèle d’excellence par la compétition à un modèle de performance par la coopération ; condition indispensable pour que la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche devienne « le fer de lance du Pacte de compétitivité et de croissance voulu par le président de la République ». Ses propositions concernent notamment la simplification des structures et la création de modalités souples de regroupement des établissements, une gouvernance plus démocratique des universités, la multiplication des passerelles pour les étudiants, l’enrichissement des liens entre le lycée et l’université, la réforme du dispositif d’évaluation des établissements et des personnels, l’affirmation du rôle stratégique de l’État à travers l’élaboration tous les cinq ans d’un Livre blanc sur l’enseignement supérieur et la recherche, la reconnaissance de la place des Régions par la mise en place d’une contractualisation globale au niveau des sites, enfin la promotion de l’innovation selon trois axes :
la création d’un statut d’entreprise d’innovation et de croissance, le recentrage du crédit d’impôt recherche sur les PME, et la valorisation de la fonction de « service à la société ».
Repositionner l’université au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche
Pour Jean-Yves Le Déaut ce repositionnement est rendu nécessaire « par l’essoufflement du processus de rattrapage, qui a donné durant des décennies tout son sens au fort développement des écoles d’ingénieurs et des organismes de recherche appliquée ». Aujourd’hui l’économie française ne peut plus seulement compter pour sa croissance sur la mise en œuvre intelligente de technologies venues d’ailleurs, elle doit se projeter le plus souvent possible « en première ligne à la frontière de l’innovation ». Dès lors, à côté de l’apprentissage rapide des savoirs, la formation par la recherche devient un atout stratégique. C’est à l’université qu’incombe la mission de diffuser les connaissances les plus poussées pour nourrir les recherches les plus audacieuses. Il faut donc que l’université retrouve un rôle central dans le dispositif d’enseignement supérieur et de recherche. À cet effet, Jean-Yves Le Déaut propose de nouvelles modalités de regroupement des établissements.
Toutes les dispositions en faveur d’un plus large éclectisme du parcours des étudiantsvont également dans ce sens, qu’il s’agisse de l’amélioration de l’orientation combinée à une spécialisation plus tardive, de la multiplication des passerelles facilitant les rebonds, ou de la pluralité des voies d’accès préservant toute la valeur des cheminements indirects, souvent enrichissants.
Coopérer pour atteindre la performance
Cela correspond là aussi à une démarche d’adaptation raisonnée au contexte mondial, car l’importation d’un modèle de concurrence généralisée « n’est pas pertinente dans un pays de taille moyenne comme la France, où les ressources sont comptées ». Jean-Yves Le Déaut préconise « de regrouper autant que possible les forces et les motivations, au niveau disciplinaire et pluri-disciplinaire, ne serait-ce que pour essayer d’atteindre la taille critique indispensable aux percées scientifiques ». Le rapport entend préserver tous les efforts déjà accomplis en ce sens, comme ceux des Alliances, mais aussi en encourager de nouveaux, via des solutions institutionnelles souples comme les communautés d’université, ou via la diffusion, par le Livre blanc, que l’auteur appelle de ses vœux, des expériences réussies dans les techniques pédagogiques s’appuyant sur le numérique.
La coopération est au cœur des regroupements institutionnels « autour d’un noyau plus ou moins important de compétences déléguées, dont par exemple la délivrance des diplômes ». Ces regroupements permettront de faire fonctionner ensemble : établissements d’enseignement supérieur et organismes de recherche, grandes écoles et universités, en intégrant à chaque fois les structures de formation technologique et professionnelle.
Revendication majeure issue des Assises, la simplifications’inscrit aussi dans la logique de la coopération. La clarification du paysage institutionnel facilite les rapprochements, c’est la raison pour laquelle Jean-Yves Le Déaut propose « la disparition des structures complexes qui n’ont pas fait leurs preuves comme les RTRA ».
Renforcer la crédibilité internationale du système d’enseignement supérieur et de recherche
Dans ce domaine, comme maints exemples étrangers l’ont montré, les projets qui réussissent sont ceux qui se construisent en étroit partenariat avec les collectivités locales et les entreprises. Les premières fournissent les infrastructures, les secondes les emplois, et toutes profitent des retombées liées au rayonnement scientifique et technologique qui attire les meilleurs professeurs et les meilleurs chercheurs. La Région, selon l’auteur, serait mieux placée que l’État pour remplir une fonction de coordination au niveau local. D’où certaines propositions qui « s’inscrivent à cet égard dans la continuité de la création de la Banque publique d’investissement, et dans la logique du prochain acte III de la décentralisation ».
Insistant sur la nécessité d’un pouvoir central pleinement en charge des fonctions touchant à la cohésion nationale, Jean-Yves Le Déhaut considère que l’État doit continuer à garantir le niveau des diplômes et le statut des personnels, et qu’il doit aussi renforcer son rôle de pilotage stratégique. L’auteur propose que les missions de l’État soient clarifiées dans la loi : délivrance des diplômes, monopole de la collation des grades et titres universitaires, statut des personnels, répartition équilibrée de l’offre de formation sur le territoire. Afin de « revigorer la fonction de pilotage stratégique de l’État », le rapport suggère notamment de remplacer auprès du Premier ministre le Haut conseil de la science et de la technologie par un Conseil stratégique de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Une programmation prospective de la recherche proposée par le Conseil stratégique de la science et de la technologie, ainsi que les objectifs quinquennaux de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche tracés par un Livre blanc, devraient selon l’auteur permettre à tous les acteurs de mieux se situer dans le moyen terme et d’accroître la performance de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Et de conclure, « c’est bien à travers un maillage de puissants pôles régionaux acquérant une véritable visibilité internationale que l’enseignement supérieur et la recherche insuffleront leur vitalité retrouvée à l’économie française ».
S’agissant des territoires, l’auteur préconise de rendre obligatoire l’élaboration de Schémas régionaux de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (SRESRI). Il souhaite également que soient précisées les nouvelles responsabilités à confier aux collectivités territoriales en privilégiant cinq domaines principaux : l’innovation, la diffusion de la culture scientifique et technique, l’appui à un service public d’information et d’orientation tout au long de la vie, les formations en alternance et l’appui au logement étudiant. Autre proposition, celle d’introduire la possibilité de contrats de site en laissant dans un premier temps aux acteurs locaux le soin de déterminer les modalités selon lesquelles les collectivités territoriales y seront associées.
Le Premier ministre a tenu à souligner « la richesse et la pertinence des analyses », précisant que ce rapport contribuerait « à l'élaboration d'un texte de loi très attendu par la communauté scientifique et faisant partie des priorités du Gouvernement ».
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