ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°88 -

Les liens d'amitiés et la prise illégale d'intérêts dans les marchés publics


Dans le cadre de son partenariat avec la Smacl, Villes de France publie régulièrement un commentaire juridique issu de l’Observatoire des risques juridiques de la vie territoriale. Dans une récente décision de la Cour de cassation (chambre criminelle, 13 janvier 2016, N° 14-88382), la question posée est celle-ci : une relation amicale entretenue par un agent public (ou un élu) avec un candidat à un marché public peut-elle caractériser une prise illégale d’intérêts en l’absence de toute rupture d’égalité de traitement entre les candidats ?
Les faits : attribution d’un marché 
En juin 2012, un conseil municipal attribue à une agence de communication un marché de télévision locale diffusée par internet. Un mois plus tard, un conseiller municipal d’opposition adresse un courrier au procureur de la République pour lui faire part de ses soupçons de favoritisme. En effet, c’est un collaborateur de cabinet du maire en charge de la communication institutionnelle, qui a rédigé le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et a analysé les offres en présence. Or l’intéressé était un très bon ami du gérant de la société attributaire. L’enquête de police confirme l’existence de liens personnels et professionnels étroits entre le gérant de la société et le collaborateur du cabinet du maire. En effet le chef d’entreprise avait été salarié de plusieurs sociétés dans lesquelles le chargé de communication y avait exercé des responsabilités, avant son embauche à la mairie. Et les contacts étaient encore fréquents et très réguliers. Pour preuve :
- les boîtes aux lettres de la société attributaire et du collaborateur du maire sont situées l’une à côté de l’autre, à l’entrée de la propriété, comme en atteste le cliché photographique annexé au constat d’huissier établi à la demande du plaignant ;
- les investigations téléphoniques ont recensé quarante-neuf échanges téléphoniques entre l’agent public et le chef d’entreprise durant la période du 6 mars au 13 avril 2012, ce qui montre que les deux hommes étaient quotidiennement en relation ;
- enfin, le collaborateur du maire et le gérant de la société apparaissent comme étant « amis » sur Facebook.
Par ailleurs l’enquête révèle que trois des cinq candidats ont été écartés car ils n’avaient pas soumissionné aux trois lots. L’un d’eux affirme à ce titre avoir été trompé par le collaborateur du maire qui lui aurait indiqué par téléphone que son offre pouvait ne pas porter sur l’ensemble des lots. Enfin le dossier de candidature de la société attributaire contenait des pièces que son gérant avait falsifiées en augmentant considérablement le chiffre d’affaires ainsi que l’effectif des salariés.
Situation « potentielle » de conflit d’intérêts
Même si aucune rupture d’égalité de traitement entre les candidats n’est établie, les juges estiment que les faits sont constitutifs d’une prise illégale d’intérêts : « les liens amicaux et professionnels entre le prévenu et le candidat choisi et leurs multiples contacts téléphoniques, jettent la suspicion sur l’impartialité du choix du candidat ». Le prévenu ne

 

pouvait donc participer à la préparation de la décision d’attribution du marché public litigieux à la société en rédigeant un rapport d’analyse des offres destiné à éclairer la commission d’appel d’offres.
Compte-tenu de sa relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant d’une des sociétés en compétition, « il s’est ainsi trouvé en situation potentielle de conflit d’intérêts, ses relations à titre privé avec un des candidats étant susceptible d’interférer avec l’intérêt public dont il avait la charge et de faire naître un doute sur l’impartialité et l’objectivité de son rapport d’analyse des offres ».C’est donc bien une situation « potentielle », et non pas avérée, de conflits d’intérêts qui est reprochée au prévenu. D’où un pourvoi en cassation contre l’arrêt, le collaborateur du maire reprochant aux juges d’appel de s’être prononcés par un motif hypothétique et non démontré. La Cour de cassation n’en confirme pas moins sa condamnation : la cour d’appel a justifié sa décision en relevant « qu’en sa qualité de collaborateur du cabinet du maire de la commune, il a participé à la préparation de la décision d’attribution du marché public litigieux à la société (...) en rédigeant un rapport d’analyse des offres destiné à éclairer la commission d’appel d’offres et qu’il entretient une relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant de cette société ». Une apparence de conflits d’intérêts suffit ainsi à caractériser l’infraction. Même si elle ne s’y réfère pas expressément, la Cour de cassation est ainsi dans la droite ligne de la définition du conflit d’intérêts donnée par la loi n° 2013-707 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et reprise par la loi déontologie des fonctionnaires dans le nouvel article 25 bis de la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
Ce qu'il faut en retenir
- Des relations amicales entre un fonctionnaire ou un élu et un candidat à un marché public peuvent laisser suspecter un possible conflit d’intérêts.
- L’agent public concerné doit donc s’abstenir de toute participation à la procédure d’achat y compris dans la phase préparatoire de la décision. A défaut le délit de prise illégale d’intérêts peut être caractérisé même en l’absence de rupture d’égalité de traitement entre les candidats.
- La simple apparence d’un conflit d’intérêts suffit à caractériser l’infraction : la décision publique ne doit pas pouvoir être suspectée d’avoir été polluée par un intérêt privé.
- Lorsqu’un fonctionnaire estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, il doit saisir son supérieur hiérarchique pour que celui-ci confie le traitement du dossier ou l’élaboration de la décision à une autre personne.
Retrouvez cette jurisprudence et d’autres textes réglementaires sur www.observatoire-collectivites.org.  
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n°88

25 Mai 2016

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