ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°176 -

« Refonte » de la fiscalité locale : les propositions de la mission Richard-Bur


La mission « Finances locales », mandatée par le Premier Ministre et co-présidée par Alain Richard et Dominique Bur, vient de présenter les éléments d’une réforme globale de la fiscalité locale (dont le montant atteint 138Md€ en 2018, soit 5,8% du PIB) pour l’ensemble des collectivités territoriales et leurs groupements. Cette réforme devrait prendre effet à partir de 2020, avec comme objectif, une vraie « refonte » de la fiscalité locale. En effet, le Conseil Constitutionnel a estimé que le dégrèvement de 80% des foyers fiscaux soumis à la TH ne constituait qu’une étape, et l’a validé sous réserve d’extinction du dispositif. Ce sujet sera principalement à l’ordre du jour de la Conférence des territoires qui se tient demain à Matignon, et à laquelle participe la présidente de Villes de France, Caroline Cayeux.
Maintenir les équilibres
A travers cette « refonte », la mission souhaite éviter les distorsions économiques entre contribuables, respecter l’autonomie financière des collectivités locales, veiller à la cohésion des territoires (péréquation), et répartir les ressources entre niveaux de collectivités en cohérence avec leurs missions.
Trois contraintes de gestion sont également posées : ne pas déséquilibrer le poids de cette fiscalité entre les ménages et les entreprises ; ne pas imposer de charges administratives ou de coûts de perception disproportionnés ; et enfin ne pas engager l’Etat et les collectivités dans une transition prolongée.
Véritable big-bang fiscal pour le secteur local, la nouvelle architecture prévue par la mission ne prévoit pas de bouleversement territorial, avec un maintien de quatre niveaux distincts de responsabilité financière (communes, intercommunalités à fiscalité propre, départements et régions). La mission ne retient pas l’hypothèse d’une nouvelle imposition locale, bien que la suppression de la TH signifie, pour le bloc communal, une perte de recettes estimée à 24,6 milliards d’euros en 2020, à quoi il faut ajouter environ 1,7 Md€ de compensations d’exonérations de TH, soit un total de 26,3 Md€ environ. Seul le partage de fractions supplémentaires d’impositions de niveau national présente un potentiel de ressources de cette ampleur effectivement disponibles.
Deux scénarios
La mission propose de remplacer le produit de la TH (26,3 Md€ au total en 2020), soit par le transfert au bloc communal de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) perçue par les départements (15,1 Md€ 2020, soit 57 % de la recette à rétablir), complétée par une attribution d’impôt national (scénario 1), soit entièrement par une attribution d’impôt national aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (scénario 2).
Dans le premier scenario (qui est privilégié par la mission et qui nécessite une compensation de fiscalité nationale pour les départements), se distinguent deux variantes, l’une où la part départementale de la TFPB est transférée aux communes et aux EPCI au prorata de leurs anciennes recettes de TH. Dans une seconde hypothèse, la part départementale de TFPB serait intégralement transférée aux communes.
Dans ces deux cas, la mission met en évidence que les villes moyennes de plus de 20 000 habitants, et plus encore à partir de 50 000 seront davantage « sous-compensées », c’est-à-dire auront davantage besoin de fiscalité nationale pour équilibrer leurs ressources, après réforme. La mise en place d’un mécanisme de garantie individuelle des ressources est nécessaire aux deux niveaux, communal et intercommunal, mais les excédents à prélever et à redéployer vers les collectivités « sous-compensées » devraient pouvoir être limités.
Sans lien évident avec cette réforme de la TH, la mission estime également souhaitable une réforme sur les droits de mutation pesant sur les ventes immobilières (environ 12 milliards d’euros en 2018). En effet, le produit des DMTO varie selon la conjoncture immobilière et présente de fortes disparités territoriales, avec des missions des départements qui entraînent des dépenses permanentes.

 


Nécessité de revoir toutes les valeurs locatives
Par son produit global proche de 45 Md€ avec ses « dérivées » (contribution foncière des entreprises, et taxe d’enlèvement des ordures ménagères principalement), la TFPB devrait demeurer la principale ressource à assiette locale des collectivités. Dans la mesure où la base imposable de cette taxe retrouve le lien avec la valeur actuelle des propriétés, la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, est donc pour la mission « une condition majeure de l’équilibre de la réforme de la fiscalité locale ». Portant sur 43 millions de locaux, l’engagement de cette révision dès 2018 produirait de nouvelles valeurs imposables utilisables en 2023 ou 2024.
Afin de ne pas faire porter excessivement la charge fiscale sur les propriétaires et les entreprises, la mission préconise aussi une plus grande maîtrise de la TFPB, afin de ne pas compromettre la vitalité du secteur immobilier et la production de logements. Cette maîtrise devra passer par un plafonnement de taux plus strict que celui en vigueur.
Réforme des exonérations sociales
Cette évolution de la fiscalité foncière devrait en outre permettre une réforme de l’imposition des logements locatifs sociaux, aujourd’hui exonérés totalement de TFPB pour les 25 années suivant leur construction (92 % de la recette est perdue). La mission propose de remplacer ce régime par une exonération de TFPB de 50 % sur 50 ans pour les opérations futures de construction de logements sociaux, afin de libérer la production neuve de logements sociaux. La taxe foncière des propriétés non bâties (TFNB), d’un produit global proche de 1 milliard d’euros, justifierait quant à elle un réexamen comparable à celui préconisé pour la TFPB.
Vers une taxation amplifiée des résidences secondaires
La mission juge que la suppression de la TH doit porter sur les résidences principales, mais pas sur les résidences secondaires et les logements vacants. Celle-ci préconise la poursuite de ces prélèvements applicables à tout local sous-occupé (ne constituant ni une résidence principale, ni un logement loué plus de six mois par an). Dans les zones tendues pourrait même être instituée une majoration.
La mission préconise également la suppression du prélèvement destiné aux réserves foncières (EPF) en vue de projets d’aménagement (taxe spéciale d’équipement), mais aussi la remise à plat de la taxe dite « GEMAPI » destinée à la prévention des inondations.
Quel impôt national partager ?
Si les propositions de la mission sont suivies, le transfert net de nouveaux produits d’impositions nationales vers les collectivités territoriales sera d’au moins 25 milliards d’euros. Cela illustre l’importance des choix relatifs au partage d’impositions nationales entre l’Etat et les collectivités bénéficiaires.
Au vu des montants en jeu, seules les impositions produisant les plus importantes recettes peuvent être retenues pour cette répartition : la TVA, la contribution sociale généralisée (CSG), l’impôt sur le revenu et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). En revanche la mission met en garde contre l’hypothèse d’une « localisation » de telles fractions d’impôt national.
Dans son rapport, la mission fait siennes les conclusions de l’étude de l’inspection générale des finances (IGF) préconisant un regroupement ou une suppression des taxes à faible rendement, et approuve la décision récente du Premier ministre de réserver un concours financier à cet objectif.
Ajustement du principe d’autonomie financière
L’autonomie financière des collectivités territoriales fait l’objet d’une garantie énoncée dans l’article 72-2 de la Constitution et les articles LO 1114-1 à 4 du CGCT, issus de la réforme constitutionnelle de 2003. Elle fixe un seuil obligatoire de ressources propres des collectivités et reconnaît ce caractère à un ensemble de recettes englobant, outre les impôts à assiette localisée et à fixation de taux locale, ainsi que les recettes d’activité ou domaniales, les fractions d’impôts nationaux partagés par la loi.
D’après la mission, ces dispositions pourraient être complétées en prévoyant qu’en principe les parts de fiscalité nationale fixées par la loi pour une catégorie donnée de collectivités territoriales le seraient pour une durée stable (par exemple les cinq ans de la programmation des finances publiques) et que leur révision quinquennale serait précédée d’une concertation organisée avec les collectivités.
L’impérieuse nécessité de poursuivre la péréquation
Bien que n’ayant pas reçu mandat pour y travailler, la mission préconise une meilleure péréquation des ressources locales, à la suite des nouveaux partages de recettes envisagés. La réalité sociologique et géographique du pays pèse, malgré les efforts de redynamisation, en défaveur de l’équilibre des territoires (et des villes moyennes en particulier).
La mission constate que les mécanismes de péréquation par prélèvement sur des ressources locales « acquises » (tels que le FPIC) se sont heurtés à de sérieuses difficultés en période de faible croissance. Elle suggère au Gouvernement « qu’une réflexion s’engage sur un partage pragmatique de cette croissance ».
Financement et calendrier de la réforme
La mission évalue la charge de la suppression intégrale de la TH à environ 10 milliards d’euros pour l’Etat, non intégrés à ce jour dans la trajectoire des finances publiques. Pour combler cet écart, la mission propose des compléments de TFPB sur les logements vacants ou occupés temporairement, la poursuite de la taxation sur les résidences secondaires, de revoir des niches de TVA, ou encore la renonciation à certains allègements fiscaux déjà intégrés à la trajectoire des finances publiques.
Une part substantielle de cette compensation devrait toutefois provenir de nouvelles mesures d’économie que l’Etat arrêtera dans le processus de modernisation de l’action publique aujourd’hui engagé. La mission estime légitime de faire peser sur les 20 % de contribuables bénéficiaires de la suppression totale de la TH, une partie au moins du coût budgétaire de cette réforme.
En termes de calendrier, est recommandé que le projet de loi portant suppression intégrale de la TH et refonte de la fiscalité locale soit adopté au plus tard début 2019. La mission propose donc d’engager les travaux effectifs de refonte

 

de la fiscalité locale, en concertation avec les élus locaux, avant la fin de l’année 2018, d’inscrire les premières mesures dans le projet de loi de finances (PLF) 2019, de présenter les dispositions principales au premier semestre 2019, dans un PLFR spécifique, et de procéder, le cas échéant, aux ajustements et compléments nécessaires dans les PLF 2020 et 2021, pour une mise en œuvre effective avant la fin du quinquennat.

n°176

16 Mai 2018

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