ONDES
URBAINES

Ondes urbaines n°176 -

La diffamation contre un élu et les délais de prescription


Créé en partenariat avec quatorze associations d’élus locaux et de fonctionnaires territoriaux, dont l’association Villes de France, l’Observatoire des risques de la vie territoriale apporte une veille juridique et réglementaire aux sociétaires de Smacl Assurances, mutuelle dédiée à l’assurance des élus et agents des collectivités territoriales. Avec près de 4000 abonnés à sa lettre d’information hebdomadaire, l’Observatoire est reconnu aujourd’hui comme un outil de prévention et d’analyse exemplaire. Dans le cadre de son partenariat, Villes de France publie cette semaine un commentaire juridique issu de l’Observatoire des risques juridiques de la vie territoriale, dont voici un extrait. S’agissant de la diffamation contre un élu, la question soulevée dans cette analyse est la suivante : « l’insertion sur une page Facebook d’un lien renvoyant vers un ancien article jugé diffamatoire relance-t-il le délai de prescription ? »
Diffamation dans un article datant de plus de trois mois
Le maire d’une commune s’estime diffamé par un article d’un journal associatif. Le maire fait citer directement le président de l’association (par ailleurs directeur de publication du journal) et un responsable pour diffamation. Il conteste en effet plusieurs accusations portées contre lui dans le journal mis en ligne sur le blog de l’association. Il s’insurge également contre « la violence d’un photo-montage de type mortuaire sous forme d’avis de décès ». Les prévenus se défendent en invoquant principalement la prescription de l’action publique. En effet l’article litigieux a été publié le 4 mars 2017 et la citation délivrée le 30 juin 2017. Or la prescription en matière de délits de presse est de trois mois à compter de la première mise en ligne.
Départ de la prescription avec Facebook ?
Certes répond le maire mais le point de départ de la prescription a été en l’espèce reporté par la mise en ligne le 30 mars 2017 sur la page Facebook de l’association d’un message invitant les lecteurs à cliquer sur un lien renvoyant sur le site internet ou est publié l’article litigieux. De fait, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 novembre 2016, N° 15-8716), a jugé que :
- le point de départ de la prescription est le jour de la publication de l’écrit incriminé, toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription ;
- l’insertion, sur internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction.
Appliquant cette jurisprudence, le tribunal correctionnel rappelle « que si la modification d’une adresse URL pour accéder à un site existant ne caractérise par un nouvel acte de publication, il est admis que l’insertion, dans un contexte éditorial nouveau, d’un lien hypertexte pointant vers un contenu déjà publié constitue une nouvelle publication ouvrant un nouveau délai de prescription ».
Les deux conditions cumulatives
Encore faut-il que deux conditions cumulatives soient réunies :
- le lien hypertexte doit pointer vers un contenu publié lequel doit être profond et interne c’est-à-dire renvoyant directement au(x) document(s) incriminé(s) ;
- un contexte éditorial nouveau doit être caractérisé par la volonté de réactiver la ou les publications.
Or en l’espèce, relèvent les juges, « il résulte du constat d’huissier que le lien hypertexte ne renvoie pas directement sur les publications incriminées mais sur le site (...) sur lequel ensuite l’utilisateur doit rechercher les différentes publications ». Autrement dit le simple renvoi vers la page du site internet ne suffit pas pour réactiver la prescription de l’action publique. Il fallait que le message posté sur Facebook renvoie directement vers le numéro du journal en

 

cause ou de l’article litigieux. Le rappel dans ce contexte de précédentes publications ne saurait constituer un nouvel acte de publication dès lors que la page Facebook (...) n’est qu’une modalité de diffusion et ne s’inscrit pas dans un contexte éditorial nouveau. Quant aux faits de violences volontaires invoquées par l’élu suite au photomontage de type mortuaire, le tribunal relève que les éléments matériels sont fondés sur les publications litigieuses lesquelles ne peuvent donner lieu à des poursuites que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et non sur les dispositions de l’article 222-13 du code pénal, fondement non recevable en l’espèce. L’occasion de rappeler que la Cour de cassation (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 6 octobre 2011, n°10-18142), a déjà jugé que « les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 » et qu’un élu ne pouvait donc obtenir réparation de son préjudice sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Pour autant le tribunal correctionnel ne fait droit à la demande des deux prévenus relaxés tendant à la condamnation du maire au paiement de dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile. En effet en aucune manière l’élu « n’a agi de mauvaise foi pas plus qu’il ne peut lui être reproché d’avoir agi témérairement alors que le contexte procédural dans lequel il pouvait agir fait l’objet de discussions juridiques complexes et en évolution constante »...
Ce qu'il faut en retenir :
- Le délai de prescription en matière de diffamation est très court puisqu’il est de 3 mois.
- Lors d’une publication sur internet c’est la date de la première mise en ligne qui sert de point de départ à la prescription.
- Cependant toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription. À ce titre la Cour de cassation a jugé que l’insertion, sur internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction.
- Encore faut-il que le lien hypertexte litigieux renvoie directement au document incriminé et s’inscrive dans un contexte éditorial nouveau caractérisé par le volonté de réactiver la ou les publications litigieuses.
Tribunal correctionnel de Libourne, 13 février 2018, N° 17202000017
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En savoir plus sur les jurisprudences commentées de « l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale » :
www.observatoire-collectivites.org

n°176

16 Mai 2018

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