Dans un arrêt récent, le Conseil d’État vient de fixer un cadre général, en se prononçant sur le cas particulier des demandes de titre de séjour des étrangers.
Au printemps 2021, le Gouvernement a imposé aux étrangers souhaitant obtenir un titre de séjour en France de déposer leur demande par internet, via un télé-service, tout en prévoyant une entrée en vigueur progressive de ce nouveau dispositif (décret n° 2021-313 du 24 mars 2021, arrêté du 27 avril 2021, arrêté du 19 mai 2021).
Plusieurs associations d'aide aux étrangers ont demandé au Conseil d’État d’annuler cette mesure. La section du contentieux du Conseil d’État, formation de jugement qui juge notamment les affaires qui soulèvent une question de droit nouvelle, s’est réunie pour examiner le recours déposé par les associations.
Rendre obligatoire un téléservice possible, mais avec des garanties
Le Conseil d’État juge que, de façon générale, l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour l’accomplissement de démarches administratives auprès de l’État peut être instaurée par le Gouvernement. Cette obligation ne relève pas du domaine réservé à la loi, et aucun droit ou principe constitutionnel ne s’y oppose.
Toutefois, le Conseil d’État précise qu’une telle obligation ne peut être imposée que si l’accès normal des usagers au service public et l’exercice effectif de leurs droits sont garantis. Pour cela, l’administration doit tenir compte de la nature de la démarche qui est dématérialisée, et de son degré de complexité, des caractéristiques de l’outil numérique proposé, ainsi que de celles du public concerné – notamment des difficultés d’accès ou d’utilisation des services en ligne.
Pour certaines démarches particulièrement complexes et sensibles, le texte qui impose l’usage obligatoire d’un télé-service doit prévoir une solution de substitution : tel est le cas pour les demandes de titres de séjour. Le Conseil d’État fixe deux conditions pour que l’obligation d’utiliser un télé-service pour les demandes de titres de séjour soit légale. Tout d’abord, les usagers qui ne disposent pas d’un accès aux outils numériques, ou qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation de l’outil, doivent pouvoir être accompagnés. Ensuite, s’il apparaît que certains usagers sont dans l’impossibilité, malgré cet accompagnement, de recourir au télé-service, pour des raisons tenant à sa conception ou à son mode de fonctionnement, l’administration doit leur garantir une solution de substitution.
Ces conditions visent à prendre en compte les caractéristiques et situations particulières des étrangers demandant un titre de séjour, qui pourraient perdre le droit de se maintenir sur le territoire si leur demande n’était pas enregistrée.
Actuellement, si le Gouvernement prévoit un accompagnement des usagers du télé-service, il ne prévoit pas de solution de substitution en cas de défaillance liée à la conception ou au mode de fonctionnement du télé-service.
Le Conseil d’État juge ainsi que le Gouvernement doit compléter ses textes pour prévoir l’existence d’une telle solution de substitution. D’ici là, si un étranger ne parvient pas à déposer sa demande par le téléservice pour de tels motifs, l’administration sera tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité.
Le Conseil d’État précise enfin, dans la réponse qu’il apporte à une question posée par le tribunal administratif de Montreuil et le tribunal administratif de Versailles, que les préfets ne pouvaient pas rendre obligatoire, avant l’entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, l’emploi de télé-services pour le dépôt des demandes de titres de séjour.
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