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Ondes Urbaines

Gestion publique

Jurisprudence sur la prise illégale d'intérêts


Créé en partenariat avec quatorze associations d’élus locaux et de fonctionnaires territoriaux, dont l’association Villes de France, l’Observatoire des risques de la vie territoriale apporte une veille juridique et réglementaire aux sociétaires de SMACL Assurances (mutuelle dédiée à l’assurance des élus et agents des collectivités territoriales). La question traitée par ce commentaire est la suivante : un élu peut-il être condamné pour recel si les faits de prise illégale d’intérêts qui lui sont imputés sont prescrits ?
Contexte et condamnation
En 2002, un projet de parc de 26 éoliennes voit le jour sur deux communes En mars 2009, des riverains du projet portent plainte avec constitution de partie civile reprochant des nuisances, des infractions au droit de l’urbanisme et des faits de prise illégale d’intérêts. Sur ce dernier point les plaignants font observer que des conseillers municipaux ont pris part à la délibération relative à l’implantation des éoliennes sur leur terrain. Sauf que la délibération litigieuse a été prise en décembre 2001, soit huit ans avant le dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Un peu tard au regard du délai de prescription triennal applicable en matière délictuelle. Le juge d’instruction constate donc logiquement la prescription de l’action publique. Mais l’idée lui vient, pour contourner les règles relatives à la prescription, de poursuivre les élus du chef de recel. En effet au contraire du délit de prise illégale d’intérêts qui est un délit instantané, le recel est une infraction dite continue. Il en résulte que la prescription ne court pas tant que les receleurs sont en possession de l’objet du délit. Bref tant que les éoliennes sont implantées, les poursuites peuvent être engagées... De fait les conseillers municipaux sont condamnés pour recel par le tribunal correctionnel à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à 8 000 euros d’amende, ce que confirme la cour d’appel.

 


Annulation de cette condamnation
La Cour de cassation annule cette condamnation par un attendu de principe : « le délit de recel de prise illégale d’intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l’infraction principale, celle-ci fût-elle prescrite ». Autant dire que l’on ne peut contourner les règles relatives à la prescription des auteurs d’une infraction en les poursuivant pour recel de cette même infraction. Rappelons néanmoins que si le délit de prise illégale d’intérêts est une infraction instantanée qui se prescrit à compter du jour où la participation illégale a pris fin (en l’espèce le jour de la participation de l’élu à la délibération), il reste que la Cour de cassation a précisé que :
-    « le délit de prise illégale d’intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l’agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l’administration ou la surveillance ». Ainsi dans le cadre d’un contrat, ce n’est pas nécessairement la date de conclusion des conventions qui doit être retenue comme point de départ de la prescription, le juge devant rechercher si le prévenu, lors de l’exécution de ces contrats, n’a pas réalisé d’acte nouveau d’administration le plaçant en position de surveillé et de surveillant (1) ;
-    le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir, en cas de dissimulation destinée à empêcher la connaissance de l’infraction, qu’à partir du jour où celle-ci est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. Ainsi tant qu’une ingérence est clandestine, le délai de prescription ne court pas (2).
Ainsi, la prescription n’est pas si facilement acquise. D’ailleurs la Cour de cassation reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir recherché elle-même si le délit de prise illégale d’intérêts était bien prescrit. Il appartiendra à la cour de renvoi de se prononcer sur ce point.
Ce qu'il faut en retenir
-    L’auteur d’une infraction principale ne peut être poursuivi pour recel de cette même infraction.
-    Les conseillers municipaux qui sont intéressés à un projet doivent s’abstenir de participer au vote mais également aux débats et à tout acte d’instruction du projet sous peine de se rendre coupable de prise illégale d’intérêts.
-    Rappelons que pour le maire l’abstention au moment du vote ne suffit pas toujours dès lors qu’il est présumé avoir surveillance sur toutes les affaires de la commune. Il en est de même pour les adjoints dans leur domaine de délégation (suivre les liens proposés en fin d’article).
-    Le délai de prescription de la prise illégale d’intérêts est, comme pour tous les délits, de trois ans. Le point de départ de la prescription est en principe le jour où cesse la participation de l’élu (ex : le jour où l’élu a participé à la délibération). Il existe cependant deux nuances importantes :
 1)  lorsqu’il y a un contrat auquel l’élu est intéressé directement ou par personne interposée (ex : marché public avec une entreprise de l’élu, embauche d’un proche...), il peut y avoir des ingérences pendant l’exécution du contrat, auquel cas le délai de prescription recommencera à courir à chaque nouvelle interférence ;
 2)  tant qu’un acte d’ingérence reste clandestin et n’a pu être découvert, le délai de prescription ne court pas. Ainsi à la faveur d’un changement de majorité municipale de vieux dossiers, que l’on pensait enterrés, peuvent refaire surface...

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 novembre 2015, N° 14-83073
(1)  Cour de cassation, chambre criminelle, 21 septembre 2005 N° 04-80474
(2)  Cour de cassation, chambre criminelle, 16 décembre 2014, N° 14-82939
Retrouvez cette jurisprudence et d’autres textes réglementaires sur www.observatoire-collectivites.org

 

 

 

n°80

30 Mars 2016




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Directeur de la publication
Jean-François Debat

Rédacteur en chef
Guillaume Ségala

Rédaction
Armand Pinoteau, Margaux Beau, Anaëlle Chouillard

Secrétariat
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